L'aérodrome de Sermoise : Cheutinville

Le premier aérodrome desservant Nevers a été implanté sur la commune de Sermoise, au lieu-dit "Peuplier Seul". Cette initiative vient d'un jeune pilote nommé Jean Daillens, qui y installa une école de pilotage dès septembre 1910.

L'aérodrome connut très vite un essor important, devenant en mars 1911 une étape du raid Paris/Clermont-Ferrand.

Les 13, 14 et 15 août 1911, de nombreux pilotes civils et militaires se confrontèrent lors d'un grand meeting aérien. Jean-Etienne Cheutin, lieutenant de l'armée, originaire de Guérigny, s'y produisit. Sa notoriété acquise dans les milieux de l'aviation fit que le comité qui gérait l'aérodrome lui donna le nom de "Cheutinville".

L'activité ne cessa de croître : escale de la liaison postale Paris/Lyon, démonstrations aériennes, exhibition de voltige aérienne par Poirée, expérience de parachutisme avec, le 17 mai 1914, un saut de la première femme parachutiste au monde, Mme Cayat de Castella. On apprendra beaucoup plus tard que son véritable nom est 
Lucienne, Henriette, Andréa Blaise. (voir ci-dessous)

A la déclaration de la guerre de 1914-1918, plusieurs escadrilles françaises qui se repliaient atterrirent à Cheutinville. Puis ce terrain resta sans activité jusqu'à environ 1930, date à partir de laquelle les travaux réalisés permirent l'accueil d'un plus grand nombre de types d'avion.

Plusieurs grandes réunions aériennes y furent organisées, permettant à de nombreux pilotes de l'époque de briller : Lemoigne, Portal, Maryse Bastie, Coupe, Assolant, Colonel puis Général Cheutin, alors Commandant de l'aviation au Maroc.

Les concurrents du circuit nivernais d'aviation s'en servirent comme point de ralliement en 1933. Quelques célébrités telles que Coste, Mermoz, Farman ou Adrienne Bolland et Marcel Doret passèrent également à l'aérodrome de Sermoise.

Mais l'évolution aidant, Cheutinville dut bientôt s'effacer devant La Sangsue, désormais véritable aéroport de Nevers, en 1935.

Toutefois, la renommée de Cheutinville avait largement dépassé les frontières hexagonales puisque, pendant la seconde guerre mondiale, les troupes allemandes, craignant une utilisation de ce terrain par la Résistance, le rendirent impraticable en creusant des tranchées sur toute sa surface.

Lucienne Henriette Andrée BLAISE

Née à Chatillon-sur-Seine le 19 décembre 1885, Renée Jolivet est l’une des trois filles de la sage-femme d’Essoyes qui assiste Madame Renoir, le 4 août 1901, lorsqu’elle accouche, à Essoyes, de Claude, le troisième et dernier de ses fils.
Dans les jours qui suivent, Renée qui est dans l’année de ses seize ans, est embauchée pour devenir la bonne de Claude Renoir auprès duquel elle est appelée à jouer le même rôle que celui tenu par Gabrielle Renard auprès de Jean [le futur cinéaste] sept ans auparavant. Jolie blonde, Renée figure sur plusieurs œuvres de Renoir, avec Claude, ou seule.
Si Gabrielle demeure près de 20 ans au service de la famille Renoir, Renée a une carrière beaucoup plus courte qui s’interrompt en 1904 : le 25 août, elle épouse à Essoyes un artiste dramatique originaire de Montluçon, Alphonse Cayat. Il a 22 ans, Renée 18.
Renée est intégrée dans la troupe de théâtre dirigée par son époux. Elle joue sous de pseudonyme de “Renée Georges” cependant que son mari est déjà connu sous celui de “Cayat de Castella.”
Au printemps 1905, Renée interrompt la tournée qu’elle effectue en Turquie. Le 12 mai, elle accouche à Essoyes d’une fille prénommée Madeleine. Elle part ensuite s’installer à Montluçon, à proximité de ses beaux-parents chez lesquels sa fille, Madeleine Cayat, sera élevée et éduquée.
Neuf ans plus tard, en 1914, Renée et Alphonse vivent chacun de leur côté. Sous le nom de Renée Georges, l’épouse est domiciliée à Paris au 22 de la rue Boissy d’Anglas.
De son côté, Alphonse Cayat, s’est reconverti. Il est l’inventeur d’un parachute breveté sous le nom de “Georges Cayat de Castella.” Il a ajouté à son pseudonyme un prénom qui n’est pas le sien mais le pseudonyme de sa femme légitime, Renée Cayat-Jolivet dite “Renée Georges.” À cette époque, bon nombre de pionniers de l’aviation payent de leur vie leurs expérimentations. Leur avion s’écrase. Ils ne peuvent s’en extraire et sont tués. Dès lors se pose la question de la mise au point de dispositifs de sécurité pour évacuer un avion en perdition. Le principe du parachute est connu depuis longtemps. Il a été utilisé pour sauter des aéronefs après l’invention des frères Montgolfier (1792.) Mais sauter d’un avion en vol est une autre histoire… La première expérience de saut à partir d’un avion date de mars 1912 ; elle a lieu dans le Missouri et est attribuée à Alber Berry.
Le premier Français qui se lance d’un avion [en même temps qu’il le sacrifie] est Adolphe Pégoud. Il se fracture l’épaule et son parachute reste accroché à un arbre. La scène se déroule en août 1913. Ce n’est qu’en février 1914 qu’un parachutiste français nommé Jean Ors saute d’un avion et atterrit sain et sauf.
Trois mois plus tard, dans le journal Le Matin du 18 mai 1914, un titre attire l’attention : “Bel exemple de confiance conjugale : Une femme expérimente un parachute inventé par son mari.”
La scène s’est déroulée la veille, le 17 mai 1914, sur l’aérodrome de Nevers (Cheutinville). L’avion est alors piloté par l’aviateur Pelletier. La parachutiste et son équipement sont attachés sous le fuselage. Le journaliste relate : “Une jeune femme, Madame Cayat de Castella, a expérimenté avec succès un système de parachute dont son mari est l’inventeur […] Elle a quitté le biplan de l’aviateur Pelletier pour atterrir doucement sur la pelouse, sous les ovations…”
Ainsi, le 17 mai 1914, “Madame Cayat de Castella” devient la première Française à sauter en parachute à partir d’un avion.
On l’aura compris, Alphonse Cayat se fait passer pour le mari de la parachutiste qu’il a affublée de son pseudonyme. Elle n’a même pas de prénom. C’est “la femme de.” Celle que l’on appelle sur de nombreux sites Internet “Madame Cayat de Castella” ou, au mieux, “Lucienne Cayat de Castella”. Elle n’a jamais été l’épouse du prétendu “Georges Cayat de Castella.” Ce dernier, né à Montluçon (Allier) le 15 décembre 1881, s’appelle en fait Alphonse Cayat. Il s’est marié à Essoyes (Aube) le 25 août 1904 avec Marie Renée Suzanne [dite Renée] Jolivet. En mai 1914, il est encore son époux et n’en divorcera d’ailleurs que le 3 mars 1920.
 
La brève carrière de la jeune parachutiste
 
Le 14 juillet 1914, le couple “Cayat de Castella” est à Nantes pour une démonstration. Nouveau succès ! Ces manifestations sont souvent payantes. “Madame Cayat de Castella” perçoit un cachet… Modeste, selon les journalistes qui suivent ses exploits. Quant à son pseudo mari, il encaisse un pourcentage sur les recettes… plus substantiel que le cachet !
En juillet, débute une tournée internationale. La jeune parachutiste figure au programme d’un meeting aérien se déroulant sur plusieurs journées consécutives, à Stockel, près de Bruxelles. L’événement a lieu sur un hippodrome inauguré en 1906, doté de tribunes et aussi de caisses, à l’entrée, permettant un contrôle facile de la recette. Très populaire depuis son exploit à Nevers “Madame Cayat de Castella” effectue plusieurs sauts victorieux à partir d’un avion piloté par l’aviateur Champel.
Mardi 21 juillet 1914, il est bientôt 18 heures. On annonce son nouvel envol… L’aviateur Champel est aux commandes. Sanglée sous le fuselage, elle salue la foule. Quelques minutes plus tard, elle saute. Cette fois, le parachute ne s’ouvre pas. “Madame Cayat de Castella” entre dans la légende : c’est “l’effroyable plongeon mortel.” Elle meurt, comme le précise son acte de décès dressé le 23 juillet 1914, “à proximité de l’avenue Orban – Van Volxem, sur un terrain, le 21 juillet 1914, à 5 heures 55 de l’après-midi.” Dressé deux jours après le drame, le document porte la signature d’Eugène Blaise, le père de la victime et celle du commissaire de la police de Woluwe-Saint-Pierre, Richard Vermeersch.
Renée Jolivet a conservé toute sa vie, dans ses archives, la page de journal relatant l’accident et la photo de sa rivale. La presse de l’époque publie de très nombreux articles. Il y en aurait sans doute eu davantage si, une semaine plus tard, le 28 juillet 1914, n’avait pas éclaté la première guerre mondiale. L’importance de cet événement a sans doute étouffé la mort de la parachutiste. Les journalistes ont eu d’autres sujets à traiter et la fin tragique de “Madame Cayat de Castella” est tombée dans l’oubli.

Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à mettre en valeur son exploit. Elle est la première Française à avoir sauté en parachute depuis un avion. Présentée depuis 1914 comme l’épouse de “Georges Cayat de Castella,” elle est identifiée sous un patronyme qui n’a jamais été le sien.
Sa mort accidentelle entraîne une enquête de police. Les journalistes qui sont sur place obtiennent des informations. Ils les utilisent. Ainsi, on apprend que l’inventeur du parachute n’est pas son mari. Pour autant, le véritable état civil d’Alphonse Cayat n’est jamais révélé. Concernant “Madame Cayat de Castella,” on avance un prénom : Lucienne… Puis un patronyme : Blaise. Alphonse Cayat est alors probablement interrogé et confie ce qu’il sait de cette jeune fille, de 10 ans sa cadette. Cela permet d’informer le père de Lucienne qui se rend en Belgique à la demande de la police. L’acte de décès de la jeune femme, rédigé en “flamand,” porte la signature du “gendarme Eugène Henri Blaise” qui déclare que sa fille est morte célibataire.
Si plusieurs journaux de l’époque s’accordent à dire que le père est gendarme, un seul le localise dans l’Orne, à Couterne. Les autres [et ils sont nombreux] écrivent qu’il est affecté à Courbevoie et que sa fille Lucienne est née dans cette ville de la banlieue parisienne. L’article qui paraît dans l’Orne, dans la rubrique de la commune de “Couterne” dont la brigade de gendarmerie est dirigée par Eugène Blaise, on relève ces informations :
-         C’est Madame Cayat de Castella qui est morte (le brigadier de gendarmerie, son père, ne dément pas.) Les couples illégitimes ne sont pas la norme. Mieux vaut laisser dire qu’elle est mariée. De surcroît, le patronyme fleure un peu l’aristocratie. Enfin, la parachutiste est considérée comme une véritable idole. À quoi bon démentir…
-         Son nom de jeune fille est donc cité : Blaise. Et le lien de filiation est clairement établi entre son père et elle. Il s’agit donc de Lucienne Blaise. Elle a 22 ans et serait, selon Le Journal de l’Orne, née à Courbevoie.
Pour l’élaboration de l’acte de décès, son père décline le véritable état civil de la défunte : “Lucienne, Henriette, Andréa Blaise, fille d’Eugène Henri Blaise et de Léonide Julie Rivière, âgée de vingt-deux ans, née à Saint-Benoît-sur-Seine (Aube.)” Rien sur Cayat ! Rien sur Castella !
Cependant le père de Lucienne déclare qu’elle est “domiciliée à Mordluson, département de la Loire.” Il n’existe aucune commune de “Mordluson” dans la Loire. Elle habitait en fait à Montluçon, dans l’Allier, la ville natale d’Alphonse Cayat où il était domicilié… avec sa femme… Alphonse Cayat ne pouvait pas avoir épousé la jeune parachutiste puisqu’il était encore le mari de Renée Jolivet.
L’acte de naissance de Lucienne, Henriette, Andréa Blaise est conservé à Saint-Benoît-sur-Seine : elle y a vu le jour le 5 juillet 1892… Mais son acte de naissance révèle une surprise : elle y est déclarée par sa grand-mère paternelle, Blaise, mais sans patronyme. Elle est la fille de sa mère, “Léonide Julie Rivière, domestique…” Ce n’est pas une erreur de l’officier d’état civil. En effet, quatre mois plus tard, le 12 novembre 1892, Eugène Henri Blaise épouse Julie Léonide Rivière à Saint-Benoît-sur-Seine. On relève sur l’acte de mariage que les époux reconnaissent deux enfants nés à Saint-Benoît-sur-Seine “le premier, en date du 24 septembre 1889, sous les noms de Blaise Eugénie Léonide Mélanie et le deuxième, en date du 5 juillet 1892, sous les noms de Lucienne Henriette Andréa.”

Ainsi, Lucienne Henriette Andréa a attendu 4 mois pour avoir un nom de famille : celui de Blaise… Ainsi, celles et ceux qui connaissent la courte carrière de parachutiste de “Madame Cayat de Castella” auront dû attendre près de 102 ans après la mort de cette pionnière pour que leur soit dévoilée sa véritable identité.


La Sermoisienne remercie Monsieur Bernard Pharisien qui, grâce à ses recherches, a permis de rétablir la vérité sur l'identité de la première femme parachutiste au monde, qui effectua son premier saut sur le site de Cheutinville.